Trêve de l'ETA
Que veut Zapatero ?
Propos recueillis par Eric Lecluyse
L'ETA a déposé les armes. Définitivement? Jean Chalvidant, spécialiste de la question, met en garde contre trop d'optimisme et note que les choix de José Luis Zapatero pèseront lourd dans la suite du processus
En quoi la trêve annoncée par ETA est-elle différente des précédentes?
Pour la première fois, c'est le chef du gouvernement en personne, Zapatero, qui monte en première ligne. En 1989, Gonzalez avait envoyé son secrétaire d'Etat. En 1998, Aznar avait mandaté des proches. Cette fois il y a un côté formel, qui montre que Zapatero veut aller au fond des choses. Le moment est, en outre, favorable. L'ETA connaît la pire période de son histoire : ses chefs sont en prison, les militants et l'argent manquent... Le moment est propice pour poser son sac, pour voir s'il n'y a pas une sortie différente.
La dernière trêve s'était mal terminée...
Effectivement. Comme l'avait prédit dès le départ Jaime Mayor Oreja, le ministre de l'Intérieur d'Aznar, le cessez-le-feu de 1998 n'était qu'un leurre. Les "etarras" en avaient profité pour se réarmer, avant de reprendre les attentats, qui ont fait alors 46 morts. Tout le monde crie un peu trop vite victoire. Il ne faut pas: c'est une course de fond, nous n'en sommes qu'à la première étape. Le mouvement est prêt à engager la conversation, mais rien de dit qu'il va renoncer à la violence.
Qu'avez-vous pensé du communiqué filmé d'ETA?
Tout le monde a remarqué son caractère exceptionnel: c'est une femme qui parlait, en espagnol de surcroît, et non en basque. Certains y ont vu une main tendue. Moi, j'ai surtout remarqué les écussons sur la table, représentant les sept provinces basques. Cela montre que l'ETA ne renonce à rien, que l'organisation revendique l'indépendance de ces provinces. Elle veut aussi que tous les prisonniers issus de ses rangs soient rassemblés dans des prisons près du Pays basque, que ceux qui n'ont pas de sang sur les mains soient libérés et que les autres soit envoyés en exil dans des pays d'Amérique latine. Mais, avant tout, le mouvement réclame l'autodétermination, comme indiqué dans le second communiqué. Le principe d'un référendum n'est pas prévu dans le droit espagnol. Mais tout est envisageable, le gouvernement pourrait y remédier.
Justement, quelle est la marge de manoeuvre de Zapatero?
C'est toute l'ambiguïté: on sait ce que veut l'ETA, mais on ne sait pas ce que le Premier ministre voudra bien donner. Il reste un inconnu pour tout le monde: même sa secrétaire, à son service depuis 15 ans, avoue dans la presse qu'elle ne sait pas grand chose de lui. Va-t-il serrer ou desserrer la bride? Accepter le référendum au risque de voir le Pays basque prendre son indépendance? Il ne s'est toujours pas prononcé.
La droite défend les victimes d'ETA et crie à la trahison à l'évocation des négociations amorcées par Zapatero. A raison?
La droite a fortement soutenu les manifestations des victimes, qui ont tout de même rassemblé plus d'un million de personnes dans tout le pays. Mais elle est illisible sur ce thème: un coup en avant, un coup en arrière, on finit par ne plus savoir ce qu'elle veut dire. Jusque là, Zapatero a été impeccable dans sa lutte antiterroriste, et l'opposition ne peut pas le lui enlever. D'ailleurs, certains politiciens de droite sont en train de lui accorder leur confiance.
Quelle est la position de Batasuna, l'ex-vitrine politique d'ETA, officiellement interdite?
Toujours la même: le bras politique d'ETA veut être considéré comme le principal interlocuteur de la cause basque et demande donc à être légalisé. Il réclame aussi l'autodétermination et l'immunité de ses dirigeants, alors que son leader, Arnaldo Otegi, doit comparaître mercredi prochain devant la justice.
Jean Chalvidant est spécialiste de l’Espagne et de l’Amérique latine au MCC, le département de recherche sur les Menaces criminelles contemporaines (Institut de criminologie/Université Paris II Panthéon-Assas). Il est l'auteur d'ETA, l'enquête (Editions Cheminements) et de L'Espagne, de Franco à Zapatero (Editions Atlantica).
Jean Chalvidant, spécialiste de l'Espagne et de l'ETA