Les secrets bien gardés d'ETA

par Eric Pelletier, Jean-Marie Pontaut, Romain Rosso, Cécile Thibaud à Madrid

Des terroristes qui mènent une vie de famille presque comme les autres; des caches d'armes où même les commandos n'entrent pas... Les récents coups de filet des policiers français contre l'organisation séparatiste basque ont mis en lumière des aspects méconnus de cet univers clandestin. Révélations

«Tu ne dis pas nos noms aux policiers.» Ce cri, lancé en basque à son fils de 7 ans, est à la fois celui d'une mère et d'une militante. La mère réalise qu'elle va être séparée de son enfant pour de longues années. La militante impose froidement les consignes de silence à son garçon. Soledad Iparraguire, l'une des principales responsables d'ETA, vient d'être rattrapée en France, après dix-huit ans de vie clandestine. Dix-huit années marquées par des assassinats et une maternité. A 43 ans, cette grande femme brune, aux traits anguleux, passe pour être l'un des chefs les plus radicaux du mouvement séparatiste basque. Elle a choisi comme nom de guerre une montagne de Biscaye: Anboto. Son fils, Peru, préfère l'appeler «Sole», le diminutif de Soledad...

Le dimanche 3 octobre, au petit matin, elle se tient assise sur une chaise, vêtue d'un jean et d'un pull rouge, impassible face aux policiers encagoulés qui ont investi la grosse maison bourgeoise, plantée au milieu des maïs, à Salies-de-Béarn (Pyrénées-Atlantiques). Les deux spécialistes des RG, qui se rendent immédiatement sur place, n'ont aucun mal à l'identifier. Sa mauvaise implantation dentaire trahit Anboto. Mais la pasionaria obéit strictement aux consignes de l'organisation en cas d'arrestation: ne pas laisser filtrer le moindre sentiment, ne rien dire, pas même son nom et, surtout, observer, noter le maximum de détails sur la façon d'opérer des forces de l'ordre, dévisager chaque intervenant pour mémoriser ses traits ou son accent. Ces éléments nourriront le rapport qu'elle rédigera en prison - la «kantada» - pour tirer les leçons de l'arrestation.

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Irantzu Gallastegi. Son enfant a été conçu lors d'un parloir rapproché.


Son compagnon, Mikel Albizu Iriarte, dit Mikel Antza, considéré comme l'actuel chef politique d'ETA, se mure lui aussi dans le silence. Il semble, cependant, moins inflexible qu'Anboto sur les principes lorsqu'il s'agit de l'avenir de leur enfant. Lors d'un aparté en basque avec sa compagne, il lui fait comprendre que, s'ils persistent dans leur mutisme, Peru va être confié à un foyer de la Ddass. Il propose finalement qu'il soit gardé par son grand-père, en Espagne. Subsiste une ultime difficulté: après des années de cavale, Mikel Antza a oublié l'indicatif téléphonique de la région d'Espagne où réside son père...

Le couple figurait parmi les clandestins les plus recherchés d'ETA. Il y a cinq ans environ, il a trouvé refuge près de Salies-de-Béarn, dans cette ferme traditionnelle un peu décatie, où deux jeunes agriculteurs français élèvent des canards. Les «etarras» y viennent ponctuellement, avant de s'installer à demeure, chaudement recommandés par un sympathisant de la cause. L'endroit présente l'avantage de se situer à l'écart de ce bourg rural de 5 000 habitants, en surplomb d'une petite route, le chemin de Lamourelle, et de permettre, en cas de danger, une fuite facile à travers les bois. Là, ils évitent leurs voisins directs. Mais, en ville, Anboto, l'égérie d'ETA, opposée à toute idée de «trêve» avec le gouvernement espagnol, mène une vie tranquille de mère de famille. Elle dépose Peru, chaque jour, à l'école privée Notre-Dame de l'Alliance, où il est scolarisé sous le nom d'Hiriart, le nom de son père phonétiquement.

Le certificat de naissance, dont l'authenticité est en cours de vérification, indique qu'il est né à Toulouse, l'été 1996. Arrivé récemment à Salies, l'enfant n'a connu aucune difficulté d'adaptation. Avec trois copains de sa classe de primaire, celui qu'on appelle Pierre a fondé un club de Pokémon. Sa mère participe volontiers aux anniversaires et aux réunions de parents d'élèves en début d'année scolaire. Anboto prend goût à cette vie presque bourgeoise en comparaison de ce qu'endurent ses simples «soldats». Sur un coin de table, elle écrit des mots d'amour à son compagnon. Des choses simples: à Salies, dit-elle, la vie est plaisante et le petit, heureux...

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