Un an après les attentats de Madrid
Jean Chalvidant
(MCC, Institut de Criminologie, Paris II Panthéon-Assas)
Auteur de " La manipulation Madrid, 11 mars " Éd. Cheminements

Il est des dates qu’on ne voudrait jamais célébrer. Ainsi celle de la tuerie de Madrid. Avec la distance, on peut aujourd’hui aboutir à un certain nombre de certitudes.

1 - Qui sont les auteurs ?
Trois groupes franchisés d’Al-Quaeda se sont unis pour planifier et exécuter les attentats : le GICM marocain, également connu comme les salafistes yihadistes, son homonyme Groupe combattant tunisien et le groupe égyptien Takfir wal Hijra. L’ensemble obéissant à Mohamed l’Egyptien, aujourd’hui sous les verrous. Le financement étant assuré par l’imam saoudien Salman Al Aouda, un proche de Ben Laden.

2 - Pourquoi ont-ils attaqué l’Espagne ?
Contrairement a ce qu’il a été trop répété, certainement pas pour punir l’Espagne de s’être alignée aux côtés de Bush dans la guerre d’Irak. L’attentat a été planifié dès octobre 2001, soit deux ans et demi avant la décision d’Aznar. C’est parce que l’Espagne symbolise un État occidental décadent et perverti, détenu jusqu’en 1492 par l’Islam qu’elle a été la cible des activistes. L’engagement espagnol en Irak constituant un " risque additionnel ".

3 - Eta est-il mêlé au forfait ?
Malgré les efforts du Parti populaire pour encore aujourd’hui le faire croire, Eta semble n’avoir participé en rien aux attentats. Rien d’étonnant, puisque le groupe terroriste basque, fortement catholisé, se considère comme patriote et mène un combat de libération nationale, tandis que Al-Quaeda et ses franchises sont islamistes. De plus, l’arrestation du chef étarre Mikel Antza en octobre dernier et la lecture de ses quatre ordinateurs n’a apporté aucun élément d’une collusion entre les deux organisations terroristes.

4 - Aznar a-t-il menti ?
C’est sur le thème du " mensonge " que le Parti socialiste espagnol a gagné les élections. Trois jours après l’attentat, les Espagnols, persuadés d’avoir été manipulés, envoyaient l’inconnu Zapatero à La Moncloa. Pour avoir " épluché " plus de 72 heures de bandes enregistrées de TVE et plus de 300 des radios Cope et Ser, du 11 au 14 mars 2004, notre conclusion est nette et définitive : non, Aznar n’a pas menti. Il a eu tort de vouloir politiser l’affaire, là où il aurait fallu laisser la main aux professionnels et de ne pas reporter les élections, pour retrouver un climat plus apaisé et moins irrationnel.

5 - Y-a-t-il eu manipulation de la part du Parti socialiste ?
Elle est indéniable et sera dans l’avenir patiemment étudiée en Sciences politiques comme cas d’école. Tout part de l’invention d’un concept, celui du " mensonge ", du à Alfredo Pérez Rubalcaba, un proche de Zapatero, qui se répand dans les médias accusant le parti au Pouvoir de tromper le peuple. Un terme complaisamment repris par la plus grande radio du pays, la Ser, qui va durant trois jours harceler le PP en inventant de pseudos informations. Résultat : le PP donné vainqueur avec 6 % d’avance dans les sondages le jeudi, est battu le dimanche de 5,01 points. Exemplaire, vraiment !

6 - La reculade de Zapatero a-t-elle encouragé les islamistes ?
Fidèle à ses engagements électoraux, Zapatero a retiré dès juin 2004 les troupes espagnoles (1 300 hommes) d’Irak. Le nouveau président, droit dans ses bottes, a-t-il fait un mauvais calcul ? Il le semblerait car les fondamentalistes ont interprété sa décision comme un aveu de faiblesse et considèrent que l’Occident cèdera à l’avenir face à leur détermination. La preuve en est apportée avec les arrestations en octobre dernier (quatre mois donc après le retour des troupes) d’un commando qui s’apprêtait à faire exploser entre autres le Palais de Justice de Madrid, la gare d’Atocha et le stade Santiago Barnabeu. Une nouvelle boucherie arrêtée de justesse. Et une preuve supplémentaire que l’argument selon lequel le lien entre les attentats et la présence de l’Armée espagnole à Bagdad ne tient pas.

7 - La commission d’investigation a-t-elle éclairci certains faits ?
La commission d’investigation nommée depuis par le gouvernement a montré ses limites. Composée uniquement de parlementaires, donc de partisans, elle s’est écharpée sans dignité en oubliant totalement les victimes. Là encore, nous avons repris la totalité des propos tenus par les intervenants. Ils prouvent par l’évidence que vouloir substituer la rigueur d’un procès d’assise par un show télévisuel et médiatique ne sert ni la vérité, ni la justice. Naturellement, aucun consensus n’est sorti des débats.

Toute la vérité n’a pas été encore dévoilée sur l’attentat majeur commis en Europe depuis celui de Lockerbie. Elle serait pourtant due aux 192 victimes qui, en ce petit matin du 11 mars 2004, étaient montées dans leur train de banlieue. Les trains de la mort.