ETA : Le document qui fait peur

Alors qu'ils viennent de porter un nouveau coup à l'ETA, les policiers français craignent pour leur sécurité.

Jean-Michel Décugis, Christophe Labbé et Olivia Recasens

Les sacs à dos contenaient deux engins explosifs confectionnés dans des autocuiseurs et deux bombes ventouses prêtes à emploi. N'y manquaient que les détonateurs. Depuis plusieurs jours, les hommes de la Division nationale antiterroriste (DNAT) et des Renseignements généraux surveillaient un appartement de Bagnères-de-Bigorre (Hautes-Pyrénées), qui faisait office de cache d'explosifs pour l'ETA. « Tout ce matériel était destiné aux commandos qui opèrent en Espagne », explique un spécialiste français de la lutte antiterroriste. Le lendemain, c'est un atelier de fabrication d'engins explosifs et de lance-roquettes artisanaux qui était découvert dans une ferme du Pays basque français, près de Saint-Jean-Pied-de-Port. La manufacture fonctionnait en plein coeur du village, à l'insu de tous, depuis six ans.

Un nouveau revers pour l'organisation séparatiste basque, qui pourrait un jour être tentée de répondre aux coups qui lui sont portés sur le sol français. Il y a quelques mois, lors d'une perquisition, la DNAT est en effet tombée sur un trombinoscope un peu particulier, celui des policiers français chargés de la lutte contre l'ETA (voir document). Cette découverte a suscité l'émoi des policiers, qui regrettent qu'aucune précaution particulière n'ait été prise. Les hommes de la DNAT continuent d'apposer leur nom sur les procès-verbaux et de garer, faute de mieux, leur voiture de service dans la rue. La juge Laurence Le Vert, spécialiste du dossier ETA au pôle antiterroriste du parquet de Paris, a elle aussi fait l'objet d'une attention particulière de l'organisation séparatiste. L'année dernière, des documents en basque où figurait l'itinéraire chronométré de la magistrate entre le palais de justice et son domicile ont été trouvés dans une cache de la région de Pau.

Une panoplie à la James Bond

Dépôts d'armes et d'explosifs, ateliers de faux papiers, lieux de repli pour ses commandos : l'ETA a fait de la France sa base arrière. « Sans la France, l'ETA n'existerait plus », explique l'universitaire Jean Chalvidant, auteur du livre de référence sur l'organisation séparatiste basque. En juillet 2002, près de Dax, dans les Landes, les policiers saisissaient un stock de 46 pistolets-mitrailleurs, 50 fusils d'assaut, 33 lance-roquettes et 145 roquettes dans une briqueterie désaffectée. Un mécanisme dissimulé dans un mur permettait d'actionner un vérin donnant accès à deux grandes pièces en sous-sol. Le 26 janvier de la même année, dans une villa de Serres-Castet, en banlieue de Pau (Pyrénées-Atlantiques), les gendarmes mettent la main sur une panoplie à la James Bond, un mini-lance-roquette dans une valise ainsi que divers objets piégés : un livre, un appui-tête de voiture et un bac à fleurs piégé. Avec, en prime, 800 kilos de dynamite provenant des 9 tonnes dérobées en France. « Quasiment tous les attentats commis en Espagne par l'ETA le sont avec des explosifs de chantier volés en France », note un policier.

Des attentats qui sont aussi commandités depuis l'Hexagone. « Les chefs de l'ETA vivent en France dans la clandestinité, et les décisions stratégiques se prennent ici », précise Jean Chalvidant. Preuve en est l'arrestation, vendredi dernier, de deux membres du comité exécutif de l'organisation terroriste. C'est vers 20 heures, à Juillaguet (Charente), que le chef de l'appareil militaire de l'ETA, Felix Alberto Lopez de Lacalle, 43 ans, nom de guerre « Mobutu », a été interpellé, avec sa compagne, Mercedes Chivite Berango. Ce petit bout de femme de 44 ans, ex-membre du commando Barcelone, l'un des plus sanglants de l'ETA, était responsable des achats au sein de l'appareil logistique. Engagé depuis l'âge de 18 ans dans la lutte armée, « Mobutu » avait parfait sa formation dans des camps d'entraînement au Yémen du Sud.

L'ETA recrute en France

Quelques heures avant ce coup de filet, Felix Ignacio Esparza Luri, 41 ans, surnommé « Navarro », chef présumé de l'appareil logistique, est arrêté en pleine rue à Saint-Paul-lès-Dax, station thermale des Landes. Accusé en Espagne de sept meurtres et d'un enlèvement, Navarro vivait depuis trois mois dans un deux-pièces, avec deux matelas, un ordinateur, une télévision et une arme de calibre 9 mm. Lors de son interpellation, il promenait sa fille de 1 an et demi, née d'une union avec Laurence Guimon. Cette jeune femme de 34 ans fait partie de ces Français qui ont voué leur vie à l'ETA. Avant d'être arrêtée en janvier 2003 près de Pau, Laurence Guimon louait sous le nom d'emprunt de Madeleine Cabaret des appartements et des garages pour y cacher des membres de l'organisation. Au printemps 2001, la police la repère, car elle commet l'erreur de payer par chèque, via un compte ouvert à la Banque populaire, 91 470 euros de matériel électronique pouvant permettre la fabrication de bombes à rayons infrarouges. Chez les Guimon, l'ETA est une affaire de famille. La grande soeur, Mirem, a fait de la prison pour avoir transporté dans un camping-car des armes et 250 kilos d'Ammonal, un explosif destiné au commando Andalousie, dont a fait partie le petit frère, François-Xavier, actuellement sous les verrous.

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